J.O. Numéro 57 du 8 Mars 1998       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 3 mars 1998, présentée par plus de soixante sénateurs en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution et visée dans la décision no 98-397 DC


NOR : CSCL9802728X




LOI RELATIVE AU FONCTIONNEMENT
DES CONSEILS REGIONAUX
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, et notamment ses articles 1er, faisant obligation aux candidats aux fonctions de président du conseil régional de remettre une déclaration écrite, et 3, prévoyant une nouvelle procédure d'adoption sans vote du budget régional, afin qu'il plaise au Conseil de déclarer ces articles contraires aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
   I. - Sur l'obligation pour les candidats aux fonctions de président du conseil régional de remettre une déclaration écrite présentant les grandes orientations politiques, économiques et sociales de leur action pour la durée de leur mandat
L'article 1er de la loi relative au fonctionnement des conseils régionaux, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 25 février 1998, a pour effet de rendre nulle l'élection aux fonctions de président du conseil régional d'un candidat qui n'aurait pas préalablement à chaque tour de scrutin remis aux membres du conseil régional, par l'intermédiaire du doyen d'âge, une déclaration écrite présentant les grandes orientations de son action pour la durée de son mandat.
Le paragraphe II de cet article est en effet ainsi rédigé :
« Nul ne peut être élu président s'il n'a, préalablement à chaque tour de scrutin, remis aux membres du conseil régional, par l'intermédiaire du doyen d'âge, une déclaration écrite présentant les grandes orientations politiques, économiques et sociales de son action pour la durée de son mandat. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que l'article 1er précité est contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
   1. Frapper de nullité l'élection du président du conseil régional élu démocratiquement par l'assemblée délibérante méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités locales énoncé à l'article 72 de la Constitution
S'il appartient au législateur, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, de définir les conditions de mise en oeuvre du principe de libre administration, les règles qu'il édicte ne sauraient aboutir à entraver la libre administration des collectivités locales. Le Conseil constitutionnel a veillé à ce que de telles entraves ne puissent être édictées (par exemple, dans vos décisions no 90-274 DC du 29 mai 1990 et no 90-277 DC du 25 juillet 1990).
En particulier, tel qu'il a été explicité par le Conseil constitutionnel, le principe de libre administration signifie que l'organe délibérant doit disposer d'attributions effectives (décision no 85-196 DC du 8 août 1985).
Parmi ces attributions, la faculté pour l'organe délibérant de choisir librement celui de ses membres appelé à la présider constitue une attribution majeure, expression même de la libre administration. Cette liberté a été constamment réaffirmée par la jurisprudence administrative, tant sur le fondement des lois du 10 août 1871 relative au fonctionnement des conseils généraux et du 5 avril 1884 sur l'organisation municipale que, plus tard, en application des lois de décentralisation. Le régime défini en la matière pour la région, collectivité territoriale de création plus récente, ayant résulté de la transposition pure et simple des règles en vigueur pour le département, s'est inscrit dans cette tradition constante.
L'Assemblée délibérante est notamment toujours restée libre d'élire à sa présidence l'un de ses membres qui ne se serait pas formellement porté candidat.
Or, l'article 1er précité aboutirait à frapper de nullité une élection acquise démocratiquement dans les conditions de majorité et de quorum précisément définies par le législateur, au seul motif que l'élu aurait omis de remettre une déclaration écrite à chacun des tours de scrutin, voire, le cas échéant, à un seul des tours (ce qui serait par définition le cas du président élu sans avoir fait acte de candidature).
Cette nullité, en assortissant l'obligation faite aux candidats aux fonctions de président d'une sanction frappant le conseil régional dans l'exercice de l'une de ses attributions essentielles, est constitutive d'une entrave au principe de libre administration garanti par la Constitution. Le Conseil constitutionnel a considéré que de telles sanctions avaient pour effet d'entraver la libre administration des collectivités locales (par exemple, dans votre décision no 83-168 DC du 20 janvier 1984).
   2. En définissant de manière très générale la nouvelle obligation faite aux candidats aux fonctions de président sans préciser le contenu que devra avoir la déclaration qu'ils devront présenter, le législateur n'a au surplus pas épuisé la compétence qu'il tient des articles 34 et 72 de la Constitution
Le Conseil constitutionnel veille à ce que, dans l'exercice des prérogatives qu'il tient des articles 34 et 72 de la Constitution pour définir les conditions de mise en oeuvre du principe de la libre administration des collectivités locales, le législateur ne reste pas en deçà de sa compétence (pour n'en citer que quelques-unes, tel a été le sens de vos décisions no 83-168 DC du 20 janvier 1984, no 87-233 DC du 5 janvier 1988, no 92-316 DC du 20 janvier 1993 ou encore no 94-358 DC du 26 janvier 1995).
Le législateur devait, en conséquence, définir très précisément quant à son objet et à sa portée le contenu de la déclaration devant être remise par les candidats aux membres du conseil régional, par l'intermédiaire du doyen d'âge. Une telle définition revêt, en l'espèce, une importance cruciale compte tenu de la sanction attachée au non-respect de la nouvelle obligation faite aux candidats aux fonctions de président du conseil régional (à savoir la nullité d'une élection démocratiquement acquise).
Or, en se bornant à énoncer que cette déclaration écrite devra présenter « les grandes orientations politiques, économiques et sociales de son action pour la durée (du) mandat », l'article 3 précité ne peut être regardé comme de nature à satisfaire l'obligation constitutionnelle qui incombe au législateur.
Les travaux préparatoires de la loi attestent eux-mêmes des grandes incertitudes qui demeurent quant au contenu que devra revêtir la déclaration des candidats.
Ainsi devant le Sénat (Journal officiel, Débats parlementaires, du 23 janvier 1998, p. 352), le ministre de l'intérieur a indiqué : « Je fais donc confiance, en quelque sorte, à l'instinct des candidats qui veulent être élus présidents. Quant au juge administratif, il appréciera la forme et non le contenu : la déclaration a-t-elle eu lieu ? Vous pouvez aussi dire : "Je suis candidat parce que je suis le meilleur." Cela suffit, à mon avis. »
Or le rapporteur de l'Assemblée nationale a au contraire tenu à donner une interprétation divergente (Journal officiel, Débats parlementaires, du 12 février 1998, p. 1472) : « Au Sénat, M. le ministre de l'intérieur a interprété cette disposition dans un sens conciliant, certes, mais qui m'a paru en affaiblir beaucoup la portée. Il est clair que pour nous, législateurs, qui sommes à l'origine de cette proposition, la déclaration ne peut pas se limiter à quelque formule générale du genre : "Le président va oeuvrer au bien-être de la région." Il s'agit bien, pour le futur président, qui, dans la plupart des cas, sera l'élu d'une coalition, qu'elle soit de droite ou de gauche, de dire clairement dans quel sens il entend mener son mandat compte tenu des engagements électoraux qui auront été pris par les diverses composantes de sa majorité. C'est donc bien une déclaration politique qui revêt une certaine importance. »
Ces incertitudes qui résulteraient de la loi elle-même conduiraient à ce que des solutions différentes puissent être appliquées d'un conseil régional à l'autre, la sanction éventuelle du caractère insuffisant de la déclaration du candidat élu ne pouvant intervenir qu'a posteriori devant le juge administratif.
En outre, en permettant aux candidats aux fonctions de président du conseil régional de présenter dans une déclaration écrite les grandes orientations « sociales » de son action pour la durée de son mandat, sans que le champ de compétences que ces orientations peuvent concerner ne soit lui-même strictement défini, l'article 1er précité a pour conséquence d'affecter de façon substantielle les attributions que les départements exercent traditionnellement en matière sociale. Il porte ainsi atteinte à l'article 72 de la Constitution (décision no 91-290 DC du 9 mai 1991).
   3. En imposant aux candidats aux fonctions de président d'énoncer les grandes orientations politiques, économiques et sociales de leur action pour la durée de leur mandat, l'article 1er précité aboutirait à aliéner la liberté des membres du conseil régional dans l'accomplissement de leur mandat
Liée au principe représentatif et établie dès 1789, l'interdiction du mandat impératif a été reprise sous différentes formes dans les constitutions ultérieures, en dernier lieu à l'article 27 de la Constitution, qui dispose que « tout mandat impératif est nul ».
Le Conseil constitutionnel considère que sont non conformes à la Constitution les dispositions qui méconnaissent cette interdiction du mandat impératif (notamment décision no 91-290 DC du 9 mai 1991).
Si cette règle figure dans le titre IV de la Constitution, qui est relatif au Parlement, elle doit néanmoins valoir également pour l'exercice de mandats locaux qui ne sauraient revêtir en aucune manière un caractère impératif.
Comme le soulignait le doyen Maurice Hauriou (Précis de droit constitutionnel, 2e édition, 1929, p. 185), cette règle « est nécessaire si l'on veut que les chambres puissent délibérer et prendre des décisions à la majorité : ces opérations supposent que les membres de l'assemblée n'ont pas les mains liées à l'avance ». Le même raisonnement vaut pour les membres des assemblées délibérantes des collectivités locales.
Or l'article 1er précité aboutirait à ce que non seulement le candidat élu mais aussi les membres du conseil régional se trouvent liés, pour la durée de leur mandat, par les engagements énoncés par le candidat dans sa déclaration écrite sur la base de laquelle il aura recueilli une majorité des suffrages, absolue ou relative selon les cas.
En outre et à titre subsidiaire, le rôle confié au doyen d'âge, en rupture avec la mission traditionnellement impartie à ce dernier dans toutes les assemblées politiques, en ferait le dépositaire et le garant de la déclaration du candidat élu.
   II. - Sur la nouvelle procédure d'adoption
sans vote du budget régional
L'article 3 de la loi relative au fonctionnement des conseils régionaux a pour effet de permettre l'adoption sans vote du budget régional.
En effet, aux termes de cet article , l'article L. 4311-1-1 du code général des collectivités territoriales serait ainsi rédigé :
« Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1612-2, si le budget n'est pas adopté au 20 mars de l'exercice auquel il s'applique ou au 30 avril de l'année de renouvellement des conseils régionaux, le président du conseil régional présente, dans un délai de dix jours à compter de cette date ou du vote de rejet, si celui-ci est antérieur, un nouveau projet sur la base du projet initial, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements présentés lors de la discussion. Le nouveau projet ne peut être présenté au conseil régional que s'il a été approuvé par son bureau, s'il existe, au cours du délai de dix jours susmentionné.
« Ce projet de budget est considéré comme adopté, à moins qu'une motion de renvoi, présentée par la majorité absolue des membres du conseil régional ne soit adoptée à la même majorité. La liste des signataires figure sur la motion de renvoi.
« La motion peut être présentée dans un délai de cinq jours à compter de la communication de son nouveau projet par le président aux membres du conseil régional et comporte un projet de budget qui lui est annexé.
« Le projet de budget annexé à la motion est établi conformément aux dispositions des articles L. 4311-1 à L. 4311-3. Il est soumis au conseil économique et social régional qui émet un avis sur ses orientations générales dans un délai de sept jours à compter de sa saisine.
« Le vote sur la motion ne peut avoir lieu avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures à compter de l'avis du conseil économique et social régional ni au-delà d'un délai de sept jours à compter de cet avis.
« Si la motion est adoptée, le projet de budget qui lui est annexé est considéré comme adopté.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à la collectivité territoriale de Corse, ni en l'absence de présentation d'un budget par le président du conseil régional dans les conditions prévues à l'article L. 4311-1 ou au premier alinéa ci-dessus. »
Pour les motifs développés ci-après, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que l'article 3 précité est contraire aux règles et aux principes de valeur constitutionnelle tels qu'ils résultent de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du préambule de la Constitution de 1946 et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
   1. En permettant l'exécution d'un budget considéré comme adopté, sans vote de l'assemblée délibérante, l'article 3 de la loi méconnaît l'article 72 de la Constitution selon lequel les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus
S'il appartient au législateur, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, de définir les conditions de mise en oeuvre du principe de libre administration, les règles qu'il édicte ne sauraient aboutir à entraver la libre administration des collectivités locales. Le Conseil constitutionnel a veillé à ce que de telles entraves ne puissent être édictées (par exemple, dans vos décisions no 90-274 DC du 29 mai 1990 et no 90-277 DC du 25 juillet 1990).
En particulier, tel qu'il a été explicité par le Conseil constitutionnel, le principe de libre administration signifie que l'organe délibérant doit disposer d'attributions effectives (décision no 85-196 DC du 8 août 1985).
Parmi ces attributions, le vote par l'organe délibérant du budget de la région constitue un acte essentiel à travers lequel la libre administration de la région par un conseil élu s'exprime dans toute sa plénitude.
Or l'article 3 précité reviendrait à ce que le projet de budget présenté par le président, bien que rejeté formellement par l'assemblée délibérante puisse, après avoir été « modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements présentés lors de la discussion », constituer le budget de la région.
Les conditions mêmes de mise en oeuvre de la nouvelle procédure (en exigeant une majorité absolue pour la présentation d'une motion comprenant un projet alternatif à celui du président) rendent très aléatoire son application effective, seule de nature à permettre à l'assemblé délibérante de se déterminer librement, à l'issue d'un débat contradictoire, afin de choisir d'accepter le projet du président ou au contraire d'adopter un autre projet.
Ainsi, faute de la réunion d'une majorité absolue pour la simple présentation d'une motion comprenant un projet de budget, le projet présenté par le président et rejeté par le conseil régional serait systématiquement considéré comme adopté par ce dernier.
Ainsi conçue, cette nouvelle procédure pourrait aboutir à ce que pendant toute la durée de la mandature aucun budget régional exécuté n'ait recueilli l'approbation du conseil régional.
L'assemblée délibérante se trouverait ainsi privée, en matière budgétaire, d'attributions effectives.
   2. En permettant l'exécution d'un budget considéré comme adopté sans vote de l'assemblée délibérante, l'article 3 précité viole l'article XIV de la Déclaration de 1789
La procédure d'adoption sans vote du budget régional aboutirait, en effet, à priver les citoyens du « droit de constater (...) par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement (...) et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
Or une telle procédure exorbitante du droit commun ne peut se fonder sur aucune autre règle ou principe de valeur constitutionnelle qui justifierait qu'il soit dérogé à la règle - laquelle est le corollaire de la libre administration des collectivités locales par des conseils élus - de l'adoption expresse du budget régional par l'assemblée délibérante.
Par l'article 49 de la Constitution, le constituant doit, en effet, être regardé comme ayant entendu réserver aux rapports entre le Gouvernement et l'Assemblée nationale la procédure permettant de considérer un texte comme adopté sans qu'il ait été formellement adopté.
La loi ordinaire ne peut donc pas (sans par là même priver les citoyens du « droit de constater ... par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement ... et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ») définir une procédure aboutissant à l'exécution du budget régional après que celui-ci aurait été considéré comme adopté sans vote de l'assemblée délibérante.
   3. L'article 3 précité entraînant une rupture d'égalité entre les différentes catégories de collectivités territoriales et entre les régions elles-mêmes, aboutit par là même à une rupture d'égalité entre les citoyens devant la loi et devant les charges publiques
   Le Conseil constitutionnel veille à ce que le législateur ne règle différemment que des situations et à ce qu'il ne déroge à l'égalité que pour des raisons d'intérêt général, la différence de traitement en résultant devant être dans l'un et l'autre cas en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (pour n'en citer que quelques-unes, tel a été le sens de vos décisions no 84-184 DC du 29 décembre 1984, no 85-189 DC du 17 juillet 1985, no 87-232 DC du 7 janvier 1988, no 90-287 DC du 16 janvier 1991 ou encore no 94-358 DC du 26 janvier 1995).
   Or l'article 3 précité entraîne en premier lieu une rupture d'égalité entre les différentes catégories de collectivités territoriales.
   Invoqué au cours des travaux préparatoires à l'appui de la définition d'une nouvelle procédure d'adoption sans vote du budget régional, le mode de scrutin régional ne saurait à lui seul constituer une spécificité de nature à fonder, dans un domaine aussi essentiel à la vie d'une collectivité locale, la définition d'une procédure exorbitante du droit commun des collectivités territoriales qui ne serait applicable qu'à la seule collectivité régionale.
   Le budget régional n'obéit à aucune règle particulière dont l'existence pourrait justifier la définition d'une procédure spécifique pour son adoption.
   L'objet même de cette nouvelle procédure qui a été présentée comme destinée à remédier aux blocages supposés des conseils régionaux ne peut s'appuyer sur aucun élément convaincant puisque la quasi-totalité des budgets régionaux a pu être adoptée selon la procédure ordinaire depuis la mise en oeuvre des lois de décentralisation.
   Comme il a été indiqué au cours des travaux préparatoires, sur 130 budgets proposés entre 1993 et 1997, trois seulement ont été rejetés, soit une proportion de 2,3 %. Pour l'exercice 1998, un seul vote de rejet a été enregistré, 17 conseils régionaux métropolitains sur 22 ayant d'ores et déjà adopté leur budget.
   La rupture d'égalité ainsi opérée ne peut donc se fonder ni sur des différences de situation objectives ni sur des motifs d'intérêt général.
   En deuxième lieu, l'article 3 précité entraîne une rupture d'égalité entre les régions elles-mêmes.
   En effet, le bureau du conseil régional n'interviendrait dans la nouvelle procédure d'adoption du budget que dans les seules régions où il existe.
   Il faut, en effet, rappeler que le bureau est composé du président et des membres de la commission permanente ayant reçu délégation de ce dernier. La délégation constitue un acte unilatéral du président, lequel peut retirer à tout moment les délégations qu'il a consenties, y compris donc entre le vote de rejet de son projet de budget et le dépôt d'un projet modifié dans le délai de dix jours qui lui est imparti par l'article 3 précité. Dans ces conditions, l'existence du bureau est par définition marquée d'une très grande relativité juridique.
   Or son rôle serait substantiel puisqu'à défaut de son approbation le président ne pourrait soumettre son projet modifié au conseil régional, la procédure de règlement d'office par le représentant de l'Etat redevenant applicable.
   Deux régimes juridiques distincts seraient en conséquence applicables selon que le président aurait ou non consenti des délégations, délégations qui sont seules à même d'entraîner la constitution d'un bureau.
   En contradiction avec les dispositions de l'article 3 de la Constitution, la décision d'un individu conditionnerait de manière substantielle l'application de la loi adoptée par les représentants du peuple souverain.
   Dans les régions dans lesquelles la décision du président de consentir des délégations aurait permis la constitution d'un bureau, le refus par ce dernier du projet modifié du président aurait pour effet d'arrêter la procédure. A l'inverse, dans les régions où, faute d'une telle décision ou du fait du retrait des délégations par le président, un bureau n'aurait pas été constitué, ce projet modifié serait systématiquement soumis au conseil régional et une motion de renvoi comprenant un projet alternatif pourrait être déposée.
   Le rôle ainsi imparti au bureau du conseil régional aboutirait à des différences de traitement entre les régions, sans que ces différences ne puissent se fonder sur des différences de situations objectives ni sur des considérations d'intérêt général.
   Ces différences de traitement entre les différentes catégories de collectivités territoriales et entre les régions elles-mêmes entraîneraient une rupture d'égalité entre les citoyens face à la loi sans que ces différences ne puissent se fonder sur des différences de situations objectives ni sur des considérations d'intérêt général. L'article 3 précité viole l'article 1er de la Constitution ainsi que les articles Ier et VI de la Déclaration de 1789.
   Il méconnaît aussi le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, principe au respect duquel le Conseil constitutionnel a rappelé le législateur à plusieurs reprises (tel a été notamment le sens de vos décisions no 85-200 DC du 16 janvier 1986, no 96-380 DC du 23 juillet 1996, no 96-385 DC du 30 décembre 1996 ou encore no 97-395 DC du 30 décembre 1997).
   Les charges imposées aux contribuables locaux seraient, en effet, définies selon des procédures différentes. D'une région à l'autre, les contribuables seraient placés dans des situations différentes face à la définition des charges publiques, sans que ces différences de situation puissent être fondées sur des différences objectives de situation ou des considérations d'intérêt général. L'article 3 précité viole, en conséquence, l'article XIII de la Déclaration de 1789 aux termes duquel la contribution commune indispensable pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses de l'administration « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

   4. En faisant dépendre l'application d'une partie substantielle de la nouvelle procédure qu'il édicte de décisions qui pourront varier d'une région à l'autre, l'article 3 précité méconnaît la compétence que le législateur tient des articles 34 et 72 de la Constitution
Le Conseil constitutionnel veille à ce que dans l'exercice des prérogatives qu'il tire des articles 34 et 72 de la Constitution pour définir les conditions de mise en oeuvre du principe de la libre administration des collectivités locales, le législateur ne reste pas en deçà de sa compétence (pour n'en citer que quelques-unes, tel a été le sens de vos décisions no 83-168 DC du 20 janvier 1984, no 87-233 DC du 5 janvier 1988, no 92-316 DC du 20 janvier 1993 ou encore no 94-358 DC du 26 janvier 1995).
Le législateur, lorsqu'il établit une nouvelle procédure d'adoption du budget d'une collectivité locale doit donc la définir avec suffisamment de précision pour permettre son application effective sur l'ensemble du territoire. L'exercice de ses compétences par le législateur dans toute leur plénitude revêt une importance particulière s'agissant, en l'espèce, d'une procédure exorbitante du droit commun.
Or, comme il a été rappelé ci-dessus, le bureau du conseil régional n'interviendrait dans la nouvelle procédure d'adoption du budget que dans les seules régions où il existe.
Son rôle serait substantiel puisqu'à défaut de son approbation le président ne pourrait soumettre son projet modifié au conseil régional, la procédure de règlement d'office par le représentant de l'Etat redevenant applicable.
En prévoyant cette intervention du bureau (lequel étant composé des membres du conseil régional ayant reçu délégation du président n'existe que pour autant que ces délégations ont été consenties), l'article 3 précité subordonne l'application d'une partie substantielle des nouvelles règles qu'il a édictées à des décisions qui pourront varier d'une région à l'autre. Il ne permet donc pas une application effective de cette procédure sur l'ensemble du territoire. Il est ainsi resté en deçà de la compétence que le législateur tient des articles 34 et 72 de la Constitution.
(Liste des signataires : voir décision no 98-397 DC.)